Le témoignage du Commandant Herouart

Grenoble, 4 décembre (1944 - ?)            
7 place St André

Cher Monsieur,

 

C’est  avec un profond chagrin que j’ai appris par un télégramme envoyé par Michou que l’on avait retrouvé le corps de votre gendre. J’avais comme vous encore de l’espoir et pensais que le traitre MATHIEU avait menti. Mais mon chagrin a encore été accru en constatant  qu’il m’était impossible de me rendre aux obsèques.

 

Le télégramme avait été déposé dans une boîte à lettres. Je ne l’ai trouvé que vers 15h. Les obsèques étaient le lendemain matin.

 

J’ai cherché à obtenir une voiture dans les différents services de la place, mais je  n’ai pas trouvé assez de complaisance pour venir me joindre à vous dans cette triste circonstance.

 

Le délai était trop court c’est pourquoi je vous ai télégraphié.

 

Je vous adresse ainsi qu’à Madame RODIER mes affectueuses condoléances pour la mort héroïque de Pierre VIRLOGEUX. Car il a adopté dès le début une attitude courageuse qui ne s’est pas démentie un seul instant. Pour ne pas parler, pour ne pas avoir la tentation de (brimer - ?) ses camarades, il a préféré se donner la mort. C’est ainsi que s’est terminée sa vie troublée par les évènements de ces derniers mois.

 

Je me rappelle au cours des réunions du comité de la résistance que nous tenions si souvent dans le bureau de son usine, soit chez ZINDER dans une cave voutée, soit dans la salle à manger de LABORIER et sans doute ailleurs quand je n’y étais pas.

 

Il connaissait le caractère de chacun et montrait un tact merveilleux pour guider les esprits et obtenir la libre adhésion de ceux qui étaient nos auxiliaires.

 

En général, il laissait chacun imposer ses idées puis résumait la situation pour en tirer les conclusions de discussions parfois orageuses. D’accord avec un, nous avions alors des décisions à prendre.

 

Après les réunions, il me disait parfois son amertume d’être si souvent obligé de conseiller la discipline à des adjoints dont les ardeurs avait besoin d’être réfréné. Il était vraiment le CHEF qui reste en place au milieu du danger et qui accepte toutes ses responsabilités. Il voulait tout savoir et sa perspicacité était rarement mise en défaut, car il était bien renseigné. J’ai souvent admiré sa droiture et son honnêteté parfaite.

 

Il se plaisait à dire que et c’était le fond de sa pensée, qu’il n’ambitionnait rien, il saurait rentrer dans l’ombre sans autres satisfactions que celles d’avoir coopéré à la libération du pays.

Je le revois également au feu dans cette rencontre de Châtel-Guyon qui a été son dernier combat. Debout sous les tirs heureusement sous les tirs heureusement peu ajustés de l’ennemis, il cherchait à rallier ses camarades. Quelques allemands qui nous avaient crié « halt » et aussitôt après lâchèrent quelques rafales, pour (riencher ?) à quelques pas de notre groupe, et s’abriter derrière un petit mur. Il était deux heures du matin, la lune éclairait faiblement le ravin de St Hippolyte. C’est par cette voie que le décrochage s’est effectué. Les balles claquaient au dessus de nous. Séparés pendant un moment  nous nous sommes retrouvés dans les buissons. Il était temps, les allemands arrivaient en nombre. Nous sommes rentrés à Riom, par des chemins détournés, car les barrages avaient été établis sur les routes.

 

C’était le 10 janvier 1943 (3 corrigé en 4). Nullement fatigués, ils ne s’est pas découragé mais comme nous tous, il trouvait long cette attente du débarquement qui ne venait point.

Comme il aurait aimé assister au repli des allemands et au retour des troupes alliés ou F.F.C dans les villes pavoisées !..

 

Vous a-t-on dit que lors de mon voyage à Riom j’aurais visité les prisons du 92  et que j’avais demandé à voir les familles qui étaient perdues. Le Cdt SOLEILHAVOU et HENRI m’ont alors dit que MATHIEU était formel et qu’il affirmait que le corps avait été enterré dans la cour de la prison. Cela paraissait peu vraisemblable mais comme il avait dit savoir que c’était à la porte de la cour de la prison un revêtement de cendres qui bombait au dessus du sol. Après quelques coups de pioches on s’est aperçu que la terre n’était pas tassée.

 

Tout le monde a eu alors la sensation que votre pauvre gendre était enterré là.

 

Es-ce bien au fond de cette tranche qu’on l’a retrouvé ?

 

Peut-être eut-il mieux valu pour vous tous de garder un espoir jusqu’à la fin de la guerre ? Les Allemands auraient-ils renseignés faussement Mme VIRLOGEUX ?

 

Pourquoi lui avoir donné tant d’espoir ?

 

J’espère qu’en Allemagne elle ne saura pas jusqu’au moment où réunie à ses fils et à vous-même elle pourra supporter plus facilement la cruelle réalité.

 

Votre petit-fils (Note : Marc) a du être bien affecté par la mort de son Père. L’incertitude était sans doute pour lui quelque chose d’abstrait qui sont brusquement matérialisé par le triste cortège qui accompagne un deuil.

 

Je souhaite que vous ayez prochainement de bonnes nouvelles de vos déportés (Note : Claude et Jean) et vous renouvelle mes condoléances et l’expression de mes sentiments d’admiration pour la noble conduite de votre gendre.

 

Veuillez agréer cher Monsieur ainsi que Madame RODIER mes sentiments respecteux

 

Commandant HEROUART